La transition professionnelle : étape de vie à « fort niveau de leadership ajouté »​ dans le parcours d’un dirigeant

Les jeux Olympiques et Paralympiques viennent de s'achever. Avec eux, nous avons vibré, nous nous sommes émus devant ces parcours d'athlètes, parfois chaotiques, toujours semés d'embuches, qui savent se (re)mobiliser pour monter sur des podiums. La vie des sportives et sportifs de haut niveau est ainsi faite de grands succès, d'échecs, de blessures...bref tout sauf un long fleuve tranquille. Dans tous les cas, nous louons cette résilience inhérente aux carrières d'athlètes. Ce qu'illustre parfaitement l'histoire de l'équipe de France masculine de handball, par exemple : auteurs d'une magistrale déconvenue aux championnats d'Europe 2020 (14ème place !), les bleus ont su se remobiliser, évoluer, se réinventer pour revenir au firmament et décrocher l'or olympique cet été. Ces bleus auraient-ils été champions olympiques sans cet accident de parcours en 2020 ? Sans doute pas.

Alors si on s'émerveille de la faculté de rebond des athlètes, pourquoi est-ce encore tabou de parler de nos "accidents" de carrière comme de vrais actifs professionnels ?

Dans mon quotidien de coach, je suis ainsi frappé, par ce paradoxe : je vois arriver dans mon bureau des personnes aux parcours inspirants, brillants, tant au niveau académique que professionnel. Des parcours de top management, de dirigeants, constitués de prises de responsabilités majeures, souvent précoces. Et puis un jour, c'est l'anicroche. Une divergence stratégique, une réorganisation ou fusion, l'inadaptation à une nouvelle donne ou tout simplement - et ce n'est pas grave - l'incapacité à un moment donné à atteindre ses objectifs. Et c'est alors qu'intervient ce que l'on nomme pudiquement, une transition professionnelle non-choisie, pour ne pas dire un licenciement ou un accord de sortie. Les mots ont leur importance et ne pas nommer les choses, contribue sans doute à renforcer le tabou. Alors et j'en reviens à mon quotidien, je vois des personnes talentueuses très employables, mais subitement ébranlées dans leurs certitudes. Honteuses presque. Quand vient le moment de parler de ce qui s'est passé, les regards peuvent être fuyants, la voix tremblante. Puis vient rapidement cette question, obsédante : "puis-je encore indiquer sur LinkedIn que je suis encore en poste ? Au bout de combien de temps vais-je devoir dire publiquement que j'ai quitté mes fonctions?". Tout le monde passe par là. Cette idée de la confrontation au regard de l'autre, de l'annonce de sa disponibilité est bien souvent une première montagne à gravir. Et c'est normal car trop encore, nous avons la croyance que vivre une transition non choisie, c'est un échec, un loupé coupable, qui va venir obérer notre employabilité.

 

Et si c'était normal de passer par là ? Normal, car devenir dirigeant ou top manager, c'est se mettre en danger. C'est prendre des décisions, qui ne produiront peut être pas l'effet escompté. C'est avoir des convictions, qui un jour sans doute, seront en contradiction avec les vues stratégiques d'autres parties prenantes de l'organisation ou d'un conseil d'administration. C'est prendre le risque d'avoir raison trop tôt ou seul. Oui être un dirigeant, c'est un jour devoir céder sa place, y compris de façon non choisie. Une fonction de direction est par essence exposée, risquée...précaire. Faites l'exercice autour de vous. Pensez à vos connaissances qui l'ont vécu (pour peu que vous soyez au courant, car c'est bien souvent un sujet dont on ne parle pas) et vous verrez combien c'est banal. Nos référents, encore dessinés par le mythe de la carrière linéaire, de l'injonction à ne jamais trébucher, ont encore de la vigueur. Ils sont pourtant devenus obsolètes dans un monde économique, où l'agilité et la rupture sont érigés en principes stratégiques. Le changement devient norme et avec lui, le CDD des fonctions dirigeantes.

 

Et si c'était une vraie valeur ajoutée dans une carrière ? Là encore, l'analogie avec le sport est éclairante. Même si vous ne suivez pas le football le nom de Thomas Tuchel ne vous est sans doute pas inconnu. Il a été l'entraineur du PSG pendant 2 ans, y a obtenu de bons résultats, avant d'être remercié le 23 décembre 2020 (choix très élégant de la date) par son club. Bien entendu, on a tendance à minorer la "souffrance" de ces personnalités, millionnaires et au quotidien assuré. Mais il n'en reste que c'est sans nul doute une blessure, pour un entraineur professionnel, que d'être licencié, après avoir tout donné, supporté un stress quotidien et fait des choix forts. Parce qu'il est avant tout un entraineur talentueux, il a profité de sa transition professionnelle non choisie, pour rebondir dans le club de Chelsea; Equipe qu'il mena au titre suprême 6 mois après, en remportant en Juin 2021 la finale de la Champions League. Vous voyez où je veux en venir...Dans ce cas, Mr Tuchel a su transformer un coup dur professionnel en superbe réalisation. Dans mon quotidien de coach, je suis ainsi le témoin privilégié de ces trajectoires résiliantes. Une fois le coup encaissé, le doute passé et les niveaux de confiance remontés, vient le moment du travail qui permet de se remettre en question, de se regarder en face. D'assumer ses qualités, ses succès, ses forces. De les aligner avec ses envies et de repartir conquérant vers une nouvelle destination choisie. Cette période, où l'on passe d'une fin de contrat non choisie à une destinée choisie, est une formidable période dans laquelle le leadership puise une énergie nouvelle. Un dirigeant qui est passé par une période de transition professionnelle, sera allé loin dans sa réflexion, dans la prise de recul sur ses compétences et talents, dans la mobilisation de son énergie vers un projet faisant sens pour lui. Il sera meilleur que ce qu'il était avant. Il sera clairvoyant.

 

Alors. Qu'attendons-nous pour valoriser ces étapes de carrière ? Avec mes consoeurs et confrères, professionnels du coaching de carrière des dirigeants, nous avons forcément un regard positif sur ces parcours. Nous constatons combien ils peuvent être finalement des accélérateurs de carrière et des pourvoyeurs dans les entreprises, de leaders résiliants. Mais il appartient à tout à chacun de témoigner de ce qu'il a vécu. De parler de cette période, afin d'inspirer l'ami ou la connaissance dans cette phase de vie. Aux recruteurs, qui évoluent heureusement, il est un devoir (oui un devoir), que de considérer qu'un cadre dirigeant disponible est une formidable opportunité et pas une "mariée moins jolie".

Le monde change vite et bien parfois. C'est le cas je le pense, dans le regard que nous portons sur la transition professionnelle. Et c'est tant mieux, car en matière de carrière comme ailleurs, seul le changement est permanent.

 

Dimitri Aït-Kaci