«Ce matin, j’ai pour la première fois, salué les éboueurs». De la responsabilité individuelle d’inventer et mettre en œuvre de nouvelles solidarités.

«Ce matin, j’ai pour la première fois, salué les éboueurs». De la responsabilité individuelle d'inventer et mettre en œuvre de nouvelles solidarités.

Au lendemain des attentats de Janvier 2015, qui avaient laissés les français, meurtris mais unis, autour de l’idéal républicain, Renaud chantait « J’ai embrassé un flic ». Lui, l’anarcho-gaucho de toujours, nous livrait un émouvant mea culpa, clamant la reconnaissance du pays à l’égard d’une profession, en première ligne du combat sécuritaire. Cinq ans après, ces mêmes forces de l’ordre sont devenues les souffre-douleurs, cibles expiatoires, des colères des manifestants du samedi et d’une partie de nos concitoyens. Illustration d’une tendance très française, visant à brûler le lendemain ses idylles d’hier.

Une amie me confiait dernièrement, à l’issue de sa première semaine de confinement, se surprendre à désormais remercier, de sa fenêtre, les éboueurs. Comme elle, il nous a fallu prendre ce mur du coronavirus, pour enfin ouvrir les yeux de la reconnaissance, sur ces professions de l’utilité publique. C’est par les catastrophes, que nous nous autorisons enfin à prendre conscience, de notre totale dépendance vis-à-vis de celles et ceux qui œuvrent dans l’ombre, à l’équilibre et à l’intégrité de nos modes de vie. Blouses blanches, forces de l’ordre, pompiers, livreurs, éboueurs, personnels de la distribution etc. Que serions-nous sans eux ?

Et pourtant. Ce confinement révèle à l’excès, les inégalités criantes de nos sociétés. Si la maladie frappe à l’aveugle, n’épargnant personne, de l’ancien ministre à l’ouvrier, nous ne sommes en revanche pas égaux dans la façon de nous en prémunir et de vivre notre confinement. D’un côté, la France de l’économie tertiaire, à l’arrêt, confinée, calfeutrée. Une France tertiaire, elle-même fragmentée par des inégalités impactant la réalité du confinement et notamment :

 

  • Inégalité de l’habitat et du lieu de confinement : être confiné dans un 20m2 sous les toits parisiens ou dans une maison secondaire à la campagne. Certains trouveront ainsi à cette période, l’espace temporel pour se créer une bulle, un rempart contre le monde. Les autres vivront cela, comme l’expérimentation de l’hyper promiscuité.

 

  • Inégalité relationnelle : vivre cette période dans la richesse d’une famille nombreuse n’est pas comparable avec l’expérience de solitude de la personne célibataire (encore que bon nombre de mères et pères seraient heureux de troquer la vie avec leur tribu, contre une solitude monacale en ce moment !).

 

  • Inégalité face à l’incertitude économique : être salarié d’un grand groupe, c’est en ce moment et a priori, moins craindre pour le très court terme que l’entrepreneur, voyant son activité à l’arrêt et le désastre se profiler.

 

Quand la vie reprendra son cheminement, tous les acteurs du tertiaire ne ressortiront ainsi pas avec la même énergie, le même optimisme ou le même teint de cette expérience…

De l’autre côté, la France en mouvement, en tension même dans cet épisode. Ceux qui sont en première ligne évidemment : les blouses blanches, héros malmenés depuis des décennies de délaissement de l’hôpital publique. De l’aide-soignant au médecin, ils nous rappellent chaque jour le sacerdoce et le total dévouement qui sont leurs. Exposés aussi les forces de l’ordre, militaires, pompiers, ambulanciers. Acteurs engagés de cette chaîne sanitaire. Eux encore, nous rappellent que certains font des choix de carrière, avec pour seule boussole le sens du service, au péril de leur propre sécurité.

Et puis il y a cette deuxième ligne, cette France de l’arrière, la même que celle de la Grande Guerre, qui faisait tourner les usines à plein régime. Ils subviennent aux besoins élémentaires du pays : nos agriculteurs, travailleurs de l’énergie, éboueurs, employés de la logistique, ouvriers des usines et personnels des commerces. Sans doute aimeraient-ils eux aussi s’ennuyer, être confinés chez eux, en sécurité. Mais chaque matin, ils prennent leur poste, utilisant les transports en commun, la peur au ventre car mal ou pas équipés pour faire face à cet ennemi invisible qu’est la maladie. Ils paieront sans doute un lourd tribut à l’épidémie. Ils n’ont pas de temps pour faire en plus la classe à leurs enfants. Ils sont bien loin de se préoccuper des applications visant à sculpter son corps durant la période, à « instagramer » leur production culinaire. Nous les retrouverons épuisés. Et sans transition, ils retourneront à leur quotidien, déjà harassant quand tout va bien.

Cette crise inédite, nous amène collectivement à une prise de conscience pourtant simple : notre quotidien ne tient que par et grâce à eux. Petits salaires en général, en proie qui plus est à la dureté de métiers physiques et exigeants. Ignorés le plus souvent, mal considérés peut être. Ils sont nos essentiels, acteurs stratégiques dans la chaine de valeur de notre quotidien.

Beaucoup appellent et espèrent, un après crise qui sera l’occasion de repenser notre société. Il serait utopiste de penser, que les grandes inégalités de notre monde, seront réglées d’une prise de conscience ou d’une signature apposée sur un décret. En revanche, puisqu'aujourd'hui nous ouvrons les yeux, il est de notre RESPONSABILITÉ individuelle d’inventer de nouvelles solidarités : aux cadres dirigeants de bâtir de nouvelles gouvernances d’entreprise durables et vertueuses, aux managers d’être encore plus vigilants aux équilibres humains, aux clients professionnels de préserver leur écosystème économique par des relations fournisseurs équilibrées etc. Et à chacun d’entre nous, professionnels et citoyens avertis, désormais clairvoyants, d’être soucieux d’autrui.

Pour que les mercis et applaudissements d’aujourd’hui, soient les actes de demain.

 

« Vous devez être le changement, que vous voulez voir dans ce monde » - Gandhi

 

Dimitri Aït-Kaci