Une crise libératrice ?

Une crise libératrice ?

Dans les entreprises, malgré ses effets dévastateurs le confinement a été pour beaucoup l’occasion de gagner en autonomie. Et si on ne revenait pas complètement en arrière ?

Une belle mobilisation

La semaine dernière j’échangeais avec le patron de la relation clients d’une grande marque de distribution spécialisée. Il me racontait les impacts du confinement sur son entreprise et plus spécifiquement sur le service clients ; 75% des effectifs à domicile, des changements de rôles et de responsabilités pour la plupart, un grand élan de solidarité pour maintenir le service, s’adapter, contribuer à la survie de l’entreprise. Au-delà de mon admiration pour cette belle mobilisation, un élément de son histoire m’a particulièrement frappé : « 80% des effectifs des services de support étaient au chômage technique, on a donc été obligés de prendre des décisions nous-mêmes. Et aujourd’hui ces services reviennent au travail, mettent en question nos décisions et nous demandent de faire autrement… mais on leur dit que non, on ne va pas faire comme cela… ».

Piloter à vue ?

Au cœur d’une crise, on n’a pas le temps de faire des études, organiser des réunions, consulter les experts, encore moins lorsque ces experts ne sont plus joignables. On décide vite, on observe les effets, puis on ajuste si nécessaire. Les RH et les services généraux ne sont pas assez nombreux pour définir les mesures de confinement ? On le fait nous-mêmes. Les informaticiens ne peuvent plus se déplacer pour nous aider à mettre en place le télétravail ? On se débrouille. Le marketing n’arrive plus à suivre le discours et les gestes commerciaux adaptés à la situation ? On s’en occupe. C’est ce que certains appellent « piloter à vue », d’autres « prendre ses responsabilités ».

Se remettre en question

En effet, c’est cette prise de responsabilité du terrain qui risque de faire partie des caractéristiques du monde professionnel d’après. Je ne suis pas en train de promouvoir la suppression pure et simple de tous les services de support dans un grand mouvement révolutionnaire poste-pandémique. Il y a, en effet, des services RH, généraux, marketing etc. qui font en ce moment un travail formidable de coordination, de soutien et de cohésion, qui ne comptent pas leurs heures, et qui apportent une vraie valeur aux premières lignes sous tension. Simplement, si, dans certaines entreprises, le terrain a appris à faire sans eux, cette crise serait une formidable opportunité pour les services fonctionnels de remettre en question leurs apports et surtout leur posture.

Une boucle infernale...

Trop souvent, les services centraux deviennent les bras armés de la direction, les leviers sur lesquels certains dirigeants, pressés que cela aille plus vite et fort, pensent pourvoir appuyer pour impacter le terrain. Dans les faits, ces services promettent beaucoup sous pression, élaborent des plans sur la comète, et, faute de trouver de vrais moyens d’engager avec les opérationnels, accouchent d’une souris. Et au bout d’un moment le COMEX s’en aperçoit, fait des coupes, et redonne le pouvoir au terrain. Ceci crée inévitablement de l’incohérence et des baronnies, et on recommence.

Et si… ?

Sur la base de mon expérience dans les grands groupes, je prône l’agilité, l’investissement le plus proche possible des clients, et des couches de « management » les plus légères possible. Néanmoins, je suis convaincu que les fonctionnels peuvent apporter une vraie valeur ajoutée à condition d’être authentiquement à l’écoute et au service du terrain. Et si, après cette crise, on écoutait les opérateurs pour connaitre les meilleures méthodes pour reconstituer le chiffre d’affaires, fidéliser les clients et simplifier les processus ? Et si, au-delà de les écouter, on les laissait faire, tout en se contentant de leur apporter les moyens dont ils ont besoin et de partager les pratiques gagnantes qui en émergent pour que d’autres puissent en profiter ? Et quand je parle d’écoute, je n’entends pas des sondages joliment restitués mais qui restent lettre morte ; non, une vraie écoute, d’humain à humain, tout en respectant, bien évidemment, la distanciation sociale !

 

Dean Groman